Une chasse aux grives insolite à Barry

Ou la mésaventure de deux jeunes chasseurs

Une partie de chasse peu banale pour de jeunes chasseurs, Claude et René, leur péripétie se situant en octobre ou novembre de l’année 1955….

Claude travaille dans la ferme familiale à Lambisque où son père est exploitant agricole. Lors des « veillées » depuis son jeune âge, Claude est bercé par les histoires et anecdotes de chasse. Tous les hommes de son entourage sont des chasseurs passionnés et leurs épouses se transmettent des recettes de plats de gibiers et se racontent les festins qui s’ensuivent. Le jeune Claude est vite conquis par la passion de la chasse et les mets délicieux de gibier…

Depuis que son physique lui permet de parcourir la campagne, Claude accompagne ses grands-pères, son oncle et son père à la chasse. Cette année-là enfin, il a atteint l’âge légal (16ans) pour pratiquer la traque et le tir du gibier avec un fusil ; une passion qui ne l’abandonnera plus…

Il rend souvent visite à ses grands-parents à St Pierre où il fait la connaissance d’un garçon voisin, René. Ils deviennent rapidement copains, René est aussi un passionné de chasse.

épouvantail

Dans les années 1950, l’agriculture traditionnelle n’utilise pas de produits chimiques, pesticides et insecticides funestes pour la faune sauvage. La mécanisation : tracteurs et autres engins agricoles est encore balbutiante et ne gêne pas le gibier. Le remembrement des parcelles dans les plaines n’a pas eu lieu, les champs sont toujours bordés de haies touffues servant à protéger les récoltes du Mistral en offrant aussi des lieux de refuge et de nidification aux passereaux et aux lapins.

Le gibier qui est abondant se délecte dans les jardins et cultures causant des pertes parfois importantes aux exploitants. À cette époque, les potagers, les parcelles cultivées et les arbres fruitiers sont agrémentés d’indispensables épouvantails.

Le tir du petit gibier et son piégeage avec des lecques, des collets ou de la glu sont coutumiers et procurent au cours de l’hiver un complément peu onéreux de nourriture gustative…

Claude avec ses économies d’argent de poche, a acheté depuis peu une mobylette d’occasion. Ce petit et populaire cyclomoteur lui permet une ou deux fois la semaine après le travail des champs à Lambisque de rejoindre René à St Pierre. Le lieu de rendez-vous habituel des deux copains est le bistrot du hameau…

Dans cet unique café de St Pierre se retrouvent après la journée de travail les hommes du quartier dont la plupart sont des chasseurs et dans lequel la société de chasse a domicilié son siège social. Les deux amis, autour d’un verre de limonade écoutent attentivement les anciens causer de la chasse : anecdotes, conseils, informations etc.

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Un vendredi soir il y a plus d’animation que d’habitude : Les « tourdres » (grives) sont arrivés !…. L’hiver sera probablement très froid vu les nuées de vols qui passent !….Préparez

vos cartouches pour la passée à Barry !… On va se régaler de bonnes rôties ! (*1) clament les vieux chasseurs

Les deux copains ne perdent pas une miette de ce qu’il se dit et décident de participer à cette allégresse générale. Ils se donnent rendez-vous  le lendemain à 13 h 30, afin d’être les premiers sur la montagne de Barry pour choisir le meilleur emplacement de tir.

Ce samedi-là, il fait un « froid de canard » la température oscille entre moins deux et un degré avec un Mistral à tout casser, d’ailleurs les deux amis ne croisent personne dans les rues de St Pierre. À l’heure dite, le fusil en bandoulière et les poches pleines de cartouches, ils gravissent sur leur mobylette le chemin charretier montant à Barry en pédalant avec énergie pour aider les moteurs poussifs, mais aussi pour se réchauffer.

Effectivement, comme prévu, ils sont arrivés les premiers sur la colline et choisissent le poste de tir le plus adéquat sur une butte à proximité de la ruine dite : « La maison du four à pain ».

La « passée ou la couchée » (*2) des grives ne commence qu’à la descente du soleil vers 16 heures. Avant l’arrivée massive des volatiles pour les premiers tirs, ils doivent patienter plus d’une heure dans le froid rigoureux derrière une touffe d’arbuste.

Malgré les gros pull-overs, la canadienne, le passe-montagne et les gants, dans l’immobilité, les jeunes « menrods » sont rapidement frigorifiés avec les doigts engourdis par l’environnement glacial. René dit :  » Claude ramasse un fagot de bois, je vais allumer un feu dans la cheminée de la maison abandonnée »…

Aussitôt, les garçons ramassent des brassées de bois sec, puis se dirigent vers la ruine, impatients d’un peu de chaleur.

Arrivés devant l’âtre une surprise les attend : à droite de la cheminée, une paire de pieds dépassent du four à pain, ils pensent immédiatement que c’est un chasseur s’abritant du froid.

« Hé ! Sortez de là, nous allons faire du feu », l’individu ne semble pas avoir entendu.

Claude pour le réveiller lui tapote les pieds, mais ceux-ci sont raides comme le bois sec qu’il vient d’amasser ! « Il est mort ! S’écrie-t-il ».

Paralysés par l’effroi les jeunes chasseurs fixent le four à pain où gît le cadavre lové en chien de fusil. Après de longues minutes, ce sont les violentes morsures du froid qui les sort de leur hébétude. « Il faut prévenir les gendarmes ! », sitôt dit, ils détalent, enfourchent leur mobylette et redescendent à toute vitesse au village…

 À St Pierre, ils entrent en trombe dans le bistrot et s’écrient : « y a un mort à Barry ! »

Les quelques habitués et le tenancier les entourent aussitôt et posent des questions en rafales, « Qui est mort ? Où est le mort ? Qui a tiré ? » etc., auxquels s’ajoutent en pareille circonstance des commentaires idiots : « ils sont trop jeunes pour porter un fusil, etc. »

Tétanisés par le froid et le trouble, ils sont pris de violents tremblements et éclatent en sanglot ne pouvant qu’ânonner quelques mots que personne ne saisit…

Le patron du bar comprend que les garçons qu’il connaît bien sont en état de choc et ordonne avec autorité aux présents de se taire. Il les installe à côté du grand poêle à charbon dont il réactive la flamme, puis leur sert un grand bol de café très chaud et bien arrosé de gnole….

Ce n’est qu’une vingtaine de minutes plus tard, réchauffés et calmés que les deux amis racontent avec précision leur mésaventure, au grand soulagement du « bistroquet » qui avait cru que les garçons étaient la cause d’un accident de chasse…

Les gendarmes et le Maire sont alertés. L’enquête de gendarmerie a conclu que l’individu était décédé d’épuisement et de froid. Dans leur colonne « faits divers » les journaux locaux relatèrent cet événement dramatique en donnant quelques précisions. Le personnage était le fils d’un ancien boulanger qui exerçait à Bollène bien avant la guerre… Un vagabond d’une quarantaine d’années, se nourrissant de ce qu’il trouvait dans la nature, il s’était rapproché des lieux de son enfance ; la faim et le froid ont mis un terme à sa vie…

Mr Claude Armand m’a conté à maintes reprises ce souvenir qui a marqué une page de sa vie en caractères noirs, il en était encore très affecté. « En ces années, me disait-il, les paysans étaient hospitaliers, pourquoi cet homme ne s’est-il pas rapproché d’une ferme ? Dans nos campagnes, on ne laissait pas les gens mourir de faim et de froid »…

Pendant près de trente années Claude Armand fut Président de l’association de chasse de Bollène. Il s’efforça de maintenir une chasse conviviale ; un loisir simple très près de la nature. Parmi les premiers défenseurs de la nature, les vrais écolos, il alerta très tôt la fédération de chasse et la chambre d’agriculture sur la disparition d’insectes et de passereaux causée par les produits chimiques, de même que sur le remembrement des parcelles provocant lui aussi d’énormes ravages sur la faune sauvage…

Aidés de chasseurs bénévoles, il entreprit dans le parc de la Garenne à Bollène, un élevage de perdreaux, de faisans et de lapins afin de les réintroduire dans la nature pour combler les dommages créés par l’agriculture intensive ; « Tôt ou tard, certains arriveront à s’accommoder des produits chimiques ! » déclarait-il…

Il était attristé par les attaques injustifiées des citadins et de certaines organisations contre les chasseurs. « Est-ce que les « Footeux » détruisent leur stade après chaque match ? Non, ils l’entretiennent pour pratiquer leur sport régulièrement. Eh bien les chasseurs font de même ! Non ! Les chasseurs ne sont pas des destructeurs », disait-il amèrement…

 

Cet attachant amoureux de la nature, fils de paysan, quitta l’exploitation agricole mais fut rattrapé par un produit phytosanitaire qu’il avait inhalé en toute ignorance de sa haute toxicité lors de traitements d’arbres fruitiers. Latent pendant quatre décennies, ce produit très utilisé par l’agriculture d’alors se réactiva, lui déclenchant une forme de leucémie qui mit fin prématurément à ses jours.

Claude Dalmas septembre 2020

Texte écrit d’après le témoignage de Monsieur Claude Armand (1 939 – 2 020).

(*1) La rôtie : mets délicieux de grives lardés déposées sur des tranches de pain et rôties au four ; à l’ancienne rôties sur un tournebroche.

(*2) La passée : lieu habituel où passent les migrateurs. La couchée ; à la tombée du jour, voie de passage des grives qui vont se réfugier pour la nuit en vols groupés dans les arbres aux ramures denses sur les collines.

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