Une chronique de Bruno TAILLÉ
La colline est située sur 3 communes : Bollène, Saint-Restitut et Saint-Paul-Trois-Châteaux, qui se partagent 1 200 hectares dont 86 environ exploités en carrières. La pierre extraite de la colline est appelée molasse du miocène : molasse car elle pouvait être utilisée pour la fabrication de meules et miocène du nom de l’époque de la sédimentation maritime datant environ de – 25 millions d’années à – 5 millions d’années. Mais l’exploitation la plus importante était destinée à la construction.
Cette pierre calcaire, appelée aussi « pierre du midi » est très recherchée car elle présente beaucoup de qualités : son aspect blanc d’un grain très fin et homogène qui a également l’avantage de faciliter la taille. D’autre part elle durcit au contact de l’air et résiste très bien aux intempéries, surtout si elle est extraite dans les meilleures couches.
Les premières carrières en exploitation à ciel ouvert datent au moins de l’époque romaine. Outre l’usage local, la pierre était expédiée surtout dans le sud-est : Orange (Arc de triomphe), Lyon (théâtre romain à Fourvière), Vienne…
L’extraction de la pierre a donc commencé à ciel ouvert : les carriers pratiquaient des trous de burin horizontalement pour introduire des coins en bois qui gonflaient en étant arrosés, Le bloc de pierre ayant été préalablement découpé au pic à pierre (appelé également escoude). Cette même technique était déjà utilisée par les Égyptiens à l’époque des pharaons plusieurs millénaires avant J.C. A partir du XVIIIeme siècle on commence à utiliser la scie (dite « scie crocodile ») pour découper les blocs, ce qui fait gagner du temps et réduit le risque d’éclatement à cause des coins.
Après l’exploitation à ciel ouvert de nouvelles techniques ont permis de travailler en galeries partant au niveau du sol et pénétrant à l’horizontale sous la colline. Une troisième technique souterraine consistait à creuser un puits d’extraction relativement profond d’où partaient des galeries. Ces puits assez larges étaient équipés de treuils pour la remontée des blocs de pierre. Ce type d’exploitation était sûrement très impressionnant ; Peut-être qu’un jour l’un de ceux-ci sera remis en état pour être visité ? Les blocs de pierre pouvaient être taillés aux dimensions commandées par les entrepreneurs mais il existait des mesures standards, par exemple le carreau 70 x 70 x 45, ou la « queirade » 64 x 50 ou 45 x 30 cm. Un bon carrier pouvait débiter un bloc d’environ 3 m3, soit à peu près 6 tonnes, en une journée, le carrier était payé au rendement !
Le travail de carrier était donc bien mieux rémunéré que le travail des champs car en plus de la maîtrise de la taille et de l’effort physique, il fallait supporter la pénibilité du travail et les risques d’accidents. En effet le carrier était exposé à la poussière de pierre engendrant d’éventuelles maladies pulmonaires, et supporter la chaleur accentuée par la réverbération de la pierre blanche. Malgré ces conditions le travail de carrier était très recherché et conférait à celui-ci un statut social très considéré.
Les carriers avaient créé des sociétés de secours mutuels pour venir en aide aux familles endeuillées par les décès dus aux accidents mais également dans le besoin suite à des maladies ou manque de travail lors des intempéries et même en cas de grèves !
A côté de la taille des meules à plusieurs endroits sur la colline (voir la grotte artificielle de la Baume Lambert) l’exploitation industrielle est devenue très importante au milieu du XIXème siècle.
En 1845 le Baron du BORD commence à racheter une partie des carrières, puis en 1859/1860 il construit un nouveau plan incliné en ligne droite selon le principe du funiculaire.
Le bâtiment abritant le treuil des carrières de Sainte-Juste, en haut du plan incliné
L’acheminement des wagonnets par une pente de 20 cm par mètre sur une longueur de 850 mètres ne prend que 5 minutes jusqu’à la gare inférieure. Ce plan incliné a remplacé l’ancien datant de 1682. Il était construit en sections comportant des virages à angles droits et utilisait la traction animale.
Il en subsiste des restes très intéressants : une belle arche dans la zone de départ et un passage vers la gare d’arrivée, présentant un remarquable travail de pierre de taille.
Pour desservir les différentes carrières du plateau, le Baron du BORD installe un important réseau de wagonnets sur rail arrivant au départ du plan incliné.
On trouve sur la colline, à côté des carrières, de nombreux témoins de l’activité des carriers comme les tranchées ou les ponts pour le passage des petits trains. On peut voir aussi les restes de bâtiments tels que la ferme abritant les chevaux ou le garage pour le matériel roulant, et aussi les petites constructions pour le personnel contrôlant l’exploitation des carrières.
Depuis l’arrivée sur l’aire de stockage, située à Saint-Paul-Trois-Châteaux au bas de la colline, les blocs étaient acheminés à la gare de Pierrelatte par un train tiré par des chevaux. En 1865 la traction animale fût remplacée par une locomotive à vapeur grâce à la nouvelle ligne plus directe construite par la Sté P.L.M. pour relier Nyons à Pierrelatte.
Le travail de la pierre s’est poursuivi de manière artisanale jusqu’à nos jours, mais l’exploitation en carrière a été la plus importante entre les années 1860 et 1914. A cette époque environ 400 personnes travaillaient sur le plateau. Le déclin de l’activité est dû au manque de main d’œuvre suite à la mobilisation pour la guerre de 1914, puis au développement du béton armé venu remplacer la pierre.
En période de pleine exploitation les carriers ont fourni des chantiers très importants, surtout dans le sud-est à Marseille, Lyon, Grenoble, Vienne, mais aussi à l’étranger Genève, Lausanne, le tunnel du Saint Gothard ! et même aux États-Unis. La dernière commande importante provient de la carrière Hugues pour construire les abattoirs de Lyon en 1914.
En 1863 le Baron du BORD vend les carrières à Louis Favre et sa fille revendra l’ensemble à la Sté Générale des Carrières du Midi.
Une bonne nouvelle : Au printemps 2019 les villes de Saint-Paul-Trois-Châteaux et Saint-Restitut ont acquis auprès du groupe FIGUIERE, propriétaire des carrières de Provence, la plupart des carrières du plateau.
Le but est de créer une association pour la préservation, la mise en valeur et la sécurisation du site pour mieux découvrir cet ensemble exceptionnel, mais également faire connaître la faune et la flore de la colline.
Je ne peux pas décrire ici la partie des carrières que je connais car il est fortement déconseillé d’y pénétrer en attendant que certaines soient mises hors de danger. Il est cependant possible de visiter 2 carrières sécurisées : les caves cathédrales (Le Mas Théo) et la carrière qui avait été aménagée en théâtre d’images.