La prison de Barry ?

Témoignage et réflexions

« Allez, on y va ! »

Ça, c’était Jean : toujours dynamique… et pressé quand il s’agissait de monter sur le village !
Pendant une période, nous avions pris l’habitude d’aller ensemble « rendre visite » un peu comme à un ami à Barry.

Je l’accompagnais, il m’apprenait. Instants privilégiés.

Cette fois-là, c’était vers la fin d’aprèsmidi d’un jour d’automne paisible. Nous avons traversé le village, regardé au passage quelques particularités d’habitats troglodytiques, puis grimpé jusqu’aux tables d’orientation. Après une petite visite à la meulière qui est en dessous, nous avons pris le sentier qui passe en corniche au-dessus du village pour rentrer par le champ des médailles et l’oppidum. Presque au
bout du sentier :

Gérard arrête-toi là je voudrais te montrer quelque chose

Jean m’a désigné une construction vers la falaise du levant :

Tu vois cette maison à grande façade, contre la paroi et vers le haut, presque dans l’axe du Ventoux ?

Je crois que oui. On dirait qu’elle est construite avec d’autres matériaux que ceux de Barry, plus jaune/orangé, mais ce sont
peut-être les derniers rayons du soleil qui la colorent. Par contre, c’est curieux, ce n’est pas une maison, elle n’a pas d’ouvertures,
seulement quelques petits « fenestrouns » de rien du tout !

Juste remarque ! Parce que ce n’est pas une maison normale : la tradition orale la désigne comme étant la « prison » du village !

La prison ? ! Mais Jean, d’où venaient les prisonniers, qui étaient-ils ? Il est vrai que nous sommes dans une zone de « turbulences » probables, à quelques centaines de mètres de la frontière entre Le Comtat, états du Pape, indépendants jusqu’à la Révolution, « pays de cocagne » sans impôts directs ou indirects, et le Dauphiné en France, dont les sujets du roi étaient lourdement taxés, ce qui générait évidemment une forte activité de contrebande !(1)

Tout à fait, tu as raison. Cette activité est attestée par de nombreux témoignages, la tradition orale, parfois le nom de maison… On parle de contrebande d’allumettes, de poudre, de sel, de tabac, et la liste n’est certainement pas complète !

Le tabac ! Dont tu parles avec plaisir et compétence pour l’avoir cultivé dans ton sud-ouest ! Et que Marianne Bignan développe bien dans son livre exceptionnel (2)… Il a dû y avoir quelques belles poursuites sur le plateau entre gardes et contrebandiers ! Mais, ceci étant, pour qu’une situation de ce type perdure il faut une « entente tacite » entre les intervenants, contrebandiers et douaniers, un certain « équilibre » dans les actions !

Exactement ! Nous avons souvent parlé avec Robert (3) de l’origine des prisonniers. Il n’y avait pas, sur Barry, de tribunal, de compétence de justice à notre connaissance. Et c’est précisément cette rupture d’équilibre, mettant en danger la vie d’un contrebandier un peu trop zélé et perturbant « l’activité », qui a fait penser à Robert cette hypothèse de « prison-protection », de « mise à l’abri ». La vie de ce contrebandier devenant menacée et le fragile équilibre compromis, on peut penser qu’une information d’alerte pouvait être transmise (par quel canal ?) et que l’intéressé était isolé « mis en prison » histoire de le protéger et de retrouver une certaine sérénité !

Hypothèse intéressante qui me fait penser à une situation « d’enfermement/protection » que j’ai découverte dans mon village d’origine,
La Baume-de-Transit, à quelques kilomètres d’ici, je t’en parle après. Mais ton prisonnier, qui le surveillait, qui s’occupait de l’intendance, le nourrissait ?

Non mais tu ne penses pas qu’en plus de monopoliser une personne pour le surveiller, on allait nourrir ce fauteur de troubles ! Il était enfermé le soir, le matin, le garde champêtre, ou équivalent, lui ouvrait, l’accompagnait à son travail et ne le lâchait plus d’une semelle jusqu’à son retour en prison. Cette situation durait tant que le calme n’était pas revenu.

Jean, je reviens à La Baume-de-Transit. Sur une belle photo prise par mon grand-père un passionné de photographie il y a plus d’un siècle, un détail a attiré mon attention : à droite du cliché, à moitié masquée et usée par le temps, une inscription : « Asile de nuit ». Ce
local, implanté dans l’épaisseur de maisons formant remparts, avait a priori deux entrées : une dans la rue du village, visiblement pour les personnes puisqu’il y avait un escalier, l’autre, plus large et au niveau de la route, sous les remparts extérieurs, probablement pour l’entrée des matériels.

J’ai eu de la chance parce que ma tante, âgée et très bonne conteuse, m’a expliqué le fonctionnement : « La clé était de la responsabilité du garde-champêtre ! Tu sais, le soir, il enfermait tout le monde, ceux que les habitants du village ne voulaient pas voir dehors la nuit notamment pendant la période des moissons et des gerbiers où le risque de feu était très important et ceux qui demandaient à être enfermés pour dormir en sécurité, leur matériel de travail rangé à l’intérieur, à l’abri des voleurs éventuels. C’était le cas, notamment, de « l’amoulaïre » et de sa meule de grès pour affûter, de « l’estamaïre », son matériel de feu et ses récipients de métal à réparer, mais
aussi du matelassier et de sa cardeuse de laine… Bref, de tous les artisans de ces métiers indispensables qui passaient de village en village….Le matin, de très bonne heure, il ouvrait les portes et libérait tout ce monde pour que chacun aille à son travail ou continue sa route ! »… Donc, là aussi, la protection par l’enfermement !….

Est-ce que d’autres villages avaient les mêmes pratiques ? Est-ce qu’une partie de la « prison de Barry » ne pouvait pas avoir la même fonction notamment au moment où la population était importante ?….
Questions en suspens !

…Nous n’y répondrons pas aujourd’hui…

Jean, on a beaucoup parlé « prison, enfermement, protection », et on est libre comme l’air !… Mais il faudrait qu’on pense à redescendre !!

« Allez, on y va ! »…

Cette sortie aura été notre dernière visite faite ensemble, à Barry.
Jean nous a quittés au cours de l’été.

« Adessias » Jean. Merci

Gérard Dumarcher
Automne 2022

(1) René MOULINAS : « Avignon, le Comtat Venaissin et la contrebande du sel au XVIIIe siècle »
(2) Marianne BIGNAN : « Bollène, des origines au XIXe siècle »

(3) Robert BOUCHON

(-) Photographies : groupe à Baume : Hector LIAUTIER « Prison » : GD