Une tentative de meurtre à Barry !

 

Un article du journal Le droit, daté du 22 avril 1859 relate sur trois colonnes le procès d’assise de Félicité Athanaïs Ferréol, dite « Anaïs » qui s’est déroulé à Carpentras le 8 avril.

Elle est accusée par son mari, Joseph Hippolyte Constant, dit « Hippolyte », d’une tentative d’empoisonnement le 18 janvier 1859. L’article décrit par le menu l’exposé des faits, l’attitude de l’accusée, l’enquête menée par le commissaire de police puis le juge d’instruction d’Orange, les rapports d’experts, les débats puis la décision du jury.

Les époux Constant habitent à Barry au moment des faits. Ce 18 janvier, Hippolyte travaille avec d’autres ouvriers de Barry dans une carrière sur le plateau. A l’heure du déjeuner, la femme de Jean Sibour apporte la nourriture de tous les travailleurs, préparée par leurs femmes respectives. Joseph commence à manger, puis se rend compte que des particules noires flottent dans sa soupe et sont mélangées à ses choux. Lui et ses voisins reconnaissent des morceaux de cantharide, un insecte connu pour des usages pharmacologiques mais aussi aphrodisiaques. A forte dose, son principe actif peut tuer. Il jette sa soupe, garde les choux et porte plainte auprès du commissaire de police du canton de Bollène contre sa femme pour tentative de meurtre.

Cantharide officinale
Cantharide officinale, Auteur : Maxime RAYNAL sur Flickr, Licence Creative Commons CC BY 2.0

Que savons nous de ce couple avant l’affaire ?

En 1859 Anaïs a 31 ans. Elle est née à Saint-Restitut comme son mari Hippolyte, 37 ans. Ils se sont mariés dans cette commune de la Drôme le 8 mai 1850 et habitent en 1851 dans ce village (maison 89).

Elle a perdu son père à l’âge de 10 ans, a une sœur de deux ans son aînée et elle était domestique au moment de son mariage.

Hippolyte est alors cultivateur, il a au moins un frère prénommé Philippe et une sœur, Thérèse. Son père Joseph est dit « mort civilement » sur l’acte de mariage, ce qui signifie qu’il a été condamné et qu’il n’a plus de personnalité juridique, politique ou civile. Cette peine pouvait accompagner une peine de prison à perpétuité, une condamnation à mort ou à la déportation. Elle a été abolie en 1854 en France. On ne connaît pas la raison de sa condamnation.

Au moment de l’évènement qui nous intéresse, les époux habitent à Barry, hameau de la commune de Bollène (Vaucluse), mais nous ne savons pas depuis combien de temps. Ils résident peut-être en ce lieu car la mère d’Anaïs, Rose, y habitait en 1850 au moment du mariage. Neuf ans après cette union aucun enfant n’est mentionné, ni dans l’article de journal ni dans les autres sources consultées.

Mais revenons à notre tentative de meurtre.

Hippolyte accuse sa femme : elle aurait déjà menacé de le tuer, et même de l’empoisonner. Le commissaire de police se rend donc à Barry le lendemain pour effectuer une perquisition dans leur maison, sans rien découvrir. Le juge d’instruction interroge Anaïs qui admet avoir préparé la soupe mais affirme ne pas l’avoir empoisonnée. Le 6 février, un enfant découvre des cantharides dans une grotte proche de la maison des Constant. Une nouvelle perquisition a lieu, elle confirme la découverte et permet d’affirmer, grâce à des témoignages, qu’Anaïs s’était bien rendue dans cette grotte avant l’arrivée des policiers le 19 février.

Le rapport des experts qui ont examiné les choux permet de donner un nouveau souffle à l’affaire : les débris de cantharides retrouvés dans les choux n’étaient pas suffisants pour tuer, ni même pour incommoder Hippolyte. Un expert témoigne que la dose était trop faible pour causer la moindre gêne, même si une partie de la nourriture n’avait pas pu être analysée car jetée par terre lors de la découverte des débris. Un médecin interroge alors Hippolyte, qui affirme n’avoir eu aucun symptôme, même pas « les effets que produisent les substances aphrodisiaques » !

Le jury finalement acquitte Anaïs, elle n’est jugée coupable ni de tentative d’assassinat ni d’avoir voulu nuire à la santé de son mari.

Que deviennent ensuite nos protagonistes ?

En 1861, Hippolyte habite toujours à Barry (maison 16), avec sa belle-mère Rose Mercier qui a 66 ans. Leurs voisins sont les Sibour, Jean qui a 28 ans, sa femme Rose et leurs deux jeunes enfants. Où habite alors Anaïs ? Nous n’avons pas retrouvé sa trace. Le hameau compte 98 habitants.

En 1866 le couple vit de nouveau sous le même toit dans la ville de Bollène rue de la Frache (maison 28). Hippolyte est cultivateur, Anaïs est sage femme. Rose vit toujours avec eux, ainsi qu’une nièce d’Hippolyte, Rose Blanc, âgée de 5 ans et demi.

Nous retrouvons Anaïs dans de nombreux actes d’état civil comme accoucheuse, entre 1861 et 1874.

En 1872 ils habitent toujours en centre ville mais rue plan de Grignan (maison 1) . Hippolyte a 52 ans, Anaïs 44 et Rose 79. Une nièce d’Anaïs, Louise Mercier, âgée de 4 ans habite avec eux.

Anaïs décède en 1876 à l’âge de 48 ans dans sa maison rue plan de Grignan, sans avoir eu d’enfant.

Hippolyte se remarie le 11 février 1878 à 56 ans à Bollène. Sa femme est une demoiselle de 38 ans, Marie Roche dont les deux parents sont décédés.

En 1881 Hippolyte et Rose résident quartier du Puy avec le fils naturel de Marie, Albert, âgé de 15 ans. Deux enfants Auguste né en 1879 et Marie Louise née en 1880 sont le fruit de cette union tardive mais fructueuse : Hippolyte est devenu père à l’âge de 57 ans.

Il meurt le 17 septembre 1897 dans sa maison du Puy, à l’âge de 75 ans.

Le hameau troglodyte de Barry est la toile de fond de ce fait divers qui met en lumière deux destins tragiques. Plutôt que de se débarrasser d’un mari avec lequel elle a fini sa vie, Anaïs n’a-t-elle pas voulu forcer le destin pour devenir mère à l’aide d’un aphrodisiaque ?

Charlotte BUGNAZET

Sources :

-l’article du journal Le droit du 22/04/1859, consulté sur le site Retronews

https://www.retronews.fr/journal/le-droit/22-apr-1859/1837/3360035/2

-les actes d’État civil (naissances, mariages, décès) des villes de Saint Restitut et Bollène entre 1822 et 1897

-les listes nominatives des recensements de population de Saint Restitut (1836/1846/1851) et de Bollène (1861/1866/1872/1876/1881)