La redécouverte du canal de la combe des Croilles

En contrebas du village, au fond de la combe des Croilles, se cache un magnifique ouvrage hydraulique longtemps oublié. Beaucoup de Bollénois, pourtant familiers des lieux, en ignoraient l’existence. Pourtant, grâce à la mémoire indéfectible de Jean MAUPEU, nous avions pu repérer, dissimulés sous le lierre et la salsepareille, les restes de canaux, de bassins et de plusieurs tunnels bien conservés.

Le cadastre « napoléonien » de 1826 montre bien cet aménagement. Le repérage sur le terrain correspond tout à fait au plan levé au XIXè siècle.

Extrait du plan cadastral de Bollène. Section B dite des Barris, feuille 3 , 1826. Archives départementales de Vaucluse. (Le canal a été repassé en bleu pour plus de lisibilité).

Pour la deuxième année consécutive, l’association a organisé un chantier en partenariat avec l’association ADP Junior qui propose des colonies de vacances pour les jeunes du département du Nord. Entre le 27 juillet et le 5 août 2019, les jeunes de la commune d’Avesnes-les-Aubert, ont ainsi remis au jour une partie du canal de la combe ainsi qu’un ensemble de restanques remarquable.

Description des aménagements

Le canal est installé dans le fond de la combe des Croilles (le thalweg) à l’endroit où convergent les eaux de ruissellement. Il débute en contrebas de la route d’accès au village et descend jusqu’au vieux chêne de Saint-Pierre. Les témoignages indiquent qu’un écoulement permanent existait dans sa partie basse jusque dans les années 1960 au moins, puisque certains se souviennent y avoir pêché. Aujourd’hui, l’écoulement a cessé. C’est dans la partie amont que nos travaux ont commencé. C’est la zone où la pente est la plus forte et où l’écoulement devait donc être le plus fort pendant les orages. C’est pourquoi elle a fait l’objet d’aménagements particuliers :

_ Deux tunnels d’une vingtaine de mètres chacun. Le tunnel amont est le plus long, il a reçu deux regards aménagés au pied des restanques qu’il traverse.

_ Un massif de pierres au débouché du deuxième tunnel est construit pour détourner le flux d’eau vers la droite à 90° et ainsi le ralentir. Il s’agissait probablement d’éviter la formation d’une ravine en aval.

_ Plus bas, dans les partie où la pente est plus faible, le plan cadastral montre l’existence d’au moins un bassin (deux autres sont mentionnés par Jean Maupeu). Il était pourvu de vannes et devait permettre la décantation des eaux de ruissellement chargées en sable.

En blanc le chemin actuel, les carrés noirs montrent l’emplacement approximatif des regards.

Datation et hypothèses de fonctionnement

L’ensemble des ouvrages est construit en utilisant la technique de la pierre sèche, comme les restanques et la borie qui se trouvent dans les environs. Aucune trace de mortier n’a été observée, ni dans les murs ni dans les voûtes. Le fond du canal est constitué du rocher naturel qui a été creusé pour présenter une pente régulière. Le parois ne reçoivent aucun dispositif d’étanchéité. Des blocs de taille hétérogène sont utilisés. Ils proviennent tous des carrières de calcaire local. Ils sont généralement grossièrement équarris. Leur taille varie d’un vingtaine à près de soixante-dix centimètres de longueur. On remarque que les blocs les plus gros ont été utilisés autour des ouvertures des tunnels.

La technique de construction observée rattache cet aménagement à l’architecture vernaculaire provençale, dont l’usage se développe entre le XVIIe et le XIXe siècle. Le cadastre nous indique que ces aménagements sont antérieurs à 1826. On sait par ailleurs que la population du village a atteint son maximum dans les années 1750, au moment de la remise en exploitation des carrières du Chameau. On peut raisonnablement supposer que cet aménagement est contemporain de cette époque, les carrières ayant pu fournir une bonne partie des pierres. Il a nécessité un travail collectif important de la part des villageois, soucieux de préserver les terrasses de culture située en contrebas du village qui étaient les plus fertiles, bénéficiant de l’exposition au sud et de la présence d’eau. Le savoir-faire des carriers a été fort utile pour bâtir l’ouvrage.

Il reste que la fonction exacte de cet ouvrage nous échappe. Il est certain que dans la partie amont l’écoulement des eaux ne devait pas être permanent. Aucune trace de sédimentation n’existe, et ni les parois perméables, ni la pente forte n’auraient permis de stocker l’eau. Il n’existe pas non plus de traces de vannes dans cette portion du canal. Pour autant, un écoulement existait bien en amont. La tradition orale garde en effet le souvenir d’une source au fond de la combe, à laquelle les habitants du village envoyaient parfois les enfants chercher de l’eau (source: Jean MAUPEU et Robert BOUCHON). Nous n’avons pas, pour le moment, réussi à la localiser. Le débit de la source devait être modeste en temps normal, mais le canal a une section importante (environ 1,2m de large pour 1m de hauteur pour le tunnel amont). Nous supposons donc qu’il a été conçu pour évacuer les eaux de ruissellement de surface et pour recueillir les eaux qui s’infiltraient à travers les terrasses et s’écoulaient par les parois des restanques pendant les fortes pluies.

A suivre…

Guillaume RAFFIN

La baume Lambert

Taillerie de meules, repère de contrebandiers ou de brigands ?

Une redécouverte par Jacqueline et Gérard DUMARCHER

Et si c’était les trois, à différentes époques ?! Cette grotte, connue sous le nom de Baume Lambert, est située à l’ouest du Plateau de Barry dans la falaise qui fait face à la Centrale du Tricastin. Etonnant voisinage que cette exploitation plusieurs fois centenaire et ces réacteurs bien visibles de son porche d’entrée.

Le sentier d’accès n’est pas très difficile, sauf dans la dernière partie qui nécessite une certaine prudence surtout en période de pluie.

Elle a été creusée à mi-hauteur de la falaise pour l’extraction et la taille des meules, dans l’étage géologique inférieur à celui exploité pour la pierre de taille – cette « belle pierre blanche du midi » – sa constitution géologique convenant très bien pour la réalisation de meules. Plusieurs sites d’exploitation existent d’ailleurs sur le Plateau, dans la même couche géologique.

L’entrée peut se faire par deux porches voisins, de dimensions modestes, sans commune mesure avec l’impressionnante taille de la cavité, certainement la plus grande de Barry issue de cette activité. Les dimensions de la galerie qui suit ce filon sont tellement importantes qu’elles laissent supposer une activité intense étalée dans le temps et une production probable de plusieurs milliers de meules.

Une étude réalisée au siècle dernier sur certaines tailleries du sud-est confirme à propos de notre Baume : « …on est en présence d’un travail encore plus spectaculaire qui n’a pu que durer plusieurs siècles ».

Il est difficile de dater la période d’exploitation, on sait seulement que « des pierres meulières provenant d’une carrière de Barry étaient utilisées en 1143 au moulin de ROAIX sur l’Ouvèze ».

Il n’y a pas de doute sur la création et la vocation première de cette Baume. Robert Bouchon indique en effet dans son ouvrage sur Barry : »dans les déblais rejetés vers la pente gît encore une meule brisée ». Et il continue sa description : « dans la grande salle de la Baume servant de hall d’entrée, on distingue des traces d’extraction en arrondi, probablement celle des meules. Deux tunnels non explorés s’ouvrent dans le fond de ce hall. On peut imaginer que le grand hall servait d’abri aux tailleurs de pierre, et de lieu de stockage. Un point d’eau se trouve à proximité : l’eau est en effet nécessaire à l’extraction puisqu’elle sert à faire gonfler les coins chargés de l’achèvement du travail ».

La source existe toujours un peu avant l’entrée de la baume et au-dessus. Elle coule même pendant les périodes de sécheresse ou de fortes chaleurs, les animaux sauvages sont nombreux à venir s’y abreuver et les sangliers à s’y rouler.

Les traces « d’extraction en arrondi » de la grande salle sont très peu visibles. Les restes d’un mur de séparation sous le porche pourraient, peut-être, indiquer qu’il y avait une fermeture de la grotte-carrière, hors période de travail ?

La grotte est parfaitement sèche, sans infiltration ni éboulement significatif.

C’est en avançant vers le fond et « les deux tunnels non explorés qui s’ouvrent dans le fond du hall » que nous attendaient les plus belles surprises !

Sous la lueur des lampes frontales se dessine, petit à petit, le dernier espace de travail des carriers !

Dans le sol des arrondis d’extractions bien visibles, des meules en cours de travail déjà bien dégagées et, superbe cadeau : debout, un peu en retrait sur le bord du chantier et partiellement enterrée, une meule qui parait complètement finie. Même le trou central – son « oeillard » – est terminé. Est-elle prête au départ et pourquoi est-elle toujours là ? Depuis combien de siècles ?…

Pourquoi l’activité s’est-elle arrêtée ? Quels étaient les moyens de manutention, d’évacuation ? Vers où ?…Et il y a bien d’autres réponses à trouver et d’autres explorations à faire…

Dans la paroi, au-dessus du chantier et sur une petite corniche, on aperçoit la tache noire laissée par la lampe à huile qui devait éclairer – bien modestement – de travail des hommes.

Il y a bien longtemps que l’exploitation des meules a cessé, alors l’imagination et la tradition orale y voient, comme souvent, une grotte naturelle ayant abrité les hommes préhistoriques, des brigands, des contrebandiers…

Pour ces derniers nous ne sommes probablement pas loin de la vérité historique : elle est isolée, discrète mais grande, l’accès y est peu facile et elle est très proche de la frontière entre le Dauphiné et les États du Pape, le Comtat Venaissin, qui était beaucoup plus riche. Par ailleurs ce n’est pas le seul endroit du site que la tradition orale désigne pour cette activité à priori fort lucrative!

Coté brigands, cette grotte, en plus de ses qualités déjà citées, présente un positionnement exceptionnel pour « l’activité » exercée : merveilleux poste d’observation sur la vallée et les voies de passage juste en-dessous du massif ! Et ce pouvait être aussi un remarquable site de repli, forfait accompli ou voyageurs détroussés !

« oeillard » de la meule

La tradition orale perpétue aussi une histoire sympathique. Les brigands vivaient en groupe dans la baume sous l’autorité d’un chef, lequel avait une compagne qui était sur le point d’accoucher. Comme les évènements ne devaient pas se dérouler normalement, le chef et futur papa envoya de nuit un de ses hommes de confiance quérir la sage-femme à Saint-Restitut…Il parait qu’elle s’est faite un peu prié pour suivre le l’émissaire, et qu’elle a franchement hésité au moment de rentrer dans leur repaire, véritable cour des miracles !…

Finalement l’accouchement s’est bien passé, la dame a donné naissance à un beau garçon à la grande joie du Chef ! La sage-femme a été raccompagnée chez elle, avec une belle histoire à raconter, et toute la troupe a dû fêter dignement l’évènement !

Gérard DUMARCHER

 

 

 

Bibliographie :

Robert Bouchon : « Barry découverte et évocation de la vie d’un site »

Pierre Martel : « Les tailleries de meules de Ganagobie… » .